LE HAVRE

Drame de  Aki Kaurismäki,  2011, 1h33min, Finlandais , allemand , français
Avec André Wilms, Kati Outinen, Jean-Pierre Darroussin

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« J’ai toujours préféré la version du conte où le Petit Chaperon rouge mange le loup « … dit le cher Aki Kaurismaki qui ne se fait aucune illusion sur l’état du monde, mais qui n’a aucune envie de rajouter une louche au pessimisme ambiant. Bien au contraire : il souffle sur son Havre, « ville du blues, de la soul et du rock’n roll » un vent si revigorant de bienveillance, de drôlerie et d’espoir que lorsque les lumières se rallument, on n’a plus aucune pudeur pour oser les grands mots : fraternité, tendresse et tutti quanti ! Rien de surprenant que le film sorte pile-poil à la date qui donne le top départ du solstice d’hiver : moment béni où la terre entière, depuis l’antiquité la plus ancienne, célèbre la remontée du soleil, l’allongement des jours.
Marcel Marx est un écrivain, ou plutôt était un écrivain. Il a laissé tomber l’écriture, s’est exilé volontairement de son pays d’origine, s’est fait cireur de chaussures pour être plus près du peuple, dans ce coin, dans cette ville qui lui plaisent plus que tout, navigant entre les quais pour l’air du large, le bistrot du coin pour les copains et son petit chez soi pour l’amour d’Arletty, sa chérie… Le bonheur quoi ! Qu’il partage avec sa chienne Laïka, du nom de celle qui tourne sans doute toujours dans l’espace, à moins qu’un astéroïde ait fini par la désintégrer !
Et puis un jour, le destin met sur son chemin un jeune garçon tout noir, je dirais autour de 12 ans, échappé d’un container qui aurait dû être débarqué à Londres où sa maman l’attend. Les flics, qui avaient remarqué des bruits étranges venus de la boîte restée à quai, forcent la porte et embarquent la petite bande d’immigrés africains qui s’y étaient cachés, à l’exception d’Idrissa qui arrive à fuir et se cache… jusqu’à ce que Marcel Marx, qui cirait ses chaussures à côté, se débrouille pour ramener à la maison l’oisillon terrifié et transi.
Arletty justement a du rentrer à l’hôpital, a priori une sale histoire de crabe, mais il faut se méfier des a-priori… Elle n’a rien dit à Marcel pour ne pas l’inquiéter. C’est un peu compliqué pour Marcel de vaquer à tout, de veiller au grain, d’autant que le soupçonneux commissaire Monet rôde. S’il faut se méfier des a priori, il ne faut donc pas toujours se méfier des commissaires, il arrive parfois qu’il leur reste un vieux fonds de solidarité de classe, un vieux reste de fraternité. Il n’a d’ailleurs pas une tronche de méchant, ce Darroussin-Monet, il trinque même volontiers, mais va savoir avec les flics. Tout pareil pour l’épicier, le boulanger, le toubib… il y a bien un traître qui se cache derrière un rideau d’où il épie ses voisins, qui va donc jouer son rôle de traître, mais dans ce quartier-là on peut compter sur la solidarité et la fraternité de tous les autres. Les traîtres n’y font pas le poids.

Il est magique, le Havre filmé par Kaurismaki. Il y avait le Havre filmé par Carné, Renoir, Jean Vigo… La Bête humaine, Quai des brumes, L’Atalante et tout récemment La Fée… Ce dernier venu s’inscrit merveilleusement dans ce sillage magnifique. Kaurismaki évite l’agressivité de l’architecture moderne, pour s’en tenir à ce qui reste définitivement indémodable dans le décor comme dans les valeurs humaines, cinéphile juste assez pour revendiquer ses filiations, et résolument, imperturbablement unique, poète dans le moindre détail : le Kaurismaki qu’on aime, de plus en plus.
« Je ne sais pas si le cinéma peut changer les choses, dit-il, mais il faut toujours essayer ! »